[Written for the Sunday edition of Le Quotidien, a Tunisian national newspaper. As it has no website I am reproducing the article in full here.] (02/02/20)
Ce vendredi 31 janvier, le Brexit – ce projet de séparation entre le Royaume-Uni et l’Union Européenne – a enfin eu lieu.
Tout à la fois fêtée et pleurée par les britanniques, la sortie définitive du pays de l’Union Européenne se réalise trois ans et demi après le référendum de Brexit. Mettant fin à une relation de près de cinquante ans, le Royaume-Uni prend son propre destin en main et quitte bel et bien le bloc dont il était la deuxième présence économique. Tournant le dos à la voie d’une intégration européenne plus approfondie, le Royaume-Uni prend le chemin réclamé depuis longtemps par les « Brexiteers ».
Un débat national de longue durée
L’adhésion du Royaume-Uni à l’Union Européenne a été longtemps contestée par certains groupes, politiciens et activistes britanniques. Suspicieux des institutions européennes et alimentés par une presse largement opposée à l’UE, de plus en plus de citoyens devenaient critiques de cette union à laquelle des gouvernements successifs avaient transfert une part de leur souveraineté. Mais c’est pendant le référendum de 2016 que ce débat national se lance sérieusement. La plus grande décision politique d’une génération a fini par diviser partis politiques, communautés, voire des familles britanniques.
En tant que pays politiquement stable et peu incliné vers les extrêmes, le Royaume-Uni a connu une polarisation d’opinion exceptionnelle depuis 2016. Ces tensions historiques ont été illustrées pendant la dernière séance du parlement européen pour les représentants britanniques, pendant lequel les pleurs ont égalé les chants de joie.
L’opposition au Brexit était forte et bien organisée, et les manifestations à Londres ont rassemblé des milliers de personnes. Pourtant, ce peuple divisé et désuni s’est lassé du débat. Après trois ans et demi de querelles politiques depuis le référendum, la plupart des britanniques étaient impatients de laisser cette période de crise politique derrière eux. Après cinq scrutins nationaux en l’espace de cinq ans, un grand nombre de personnes ne s’intéressent plus guère à la question et souhaitent une atmosphère nationale moins tendue et politisée.
Ceci explique en partie la réussite du parti conservateur pendant les élections législatives du décembre 2019. En promettant d’achever ce fameux Brexit, le parti est arrivé à réunir des groupes disparates et à attirer un soutien historique partout dans le pays. Le résultat a été un réalignement des identités politiques : des régions qui avaient tendance à élire des députés de gauche se sont mis largement d’accord en faveur des conservateurs sur cette question de politique fondamentale. Avec un gouvernement conservateur majoritaire qui était maintenant entièrement pro-Brexit, il n’était plus question d’empêcher la sortie de l’Union.
Un pays toujours un peu à l’écart
Comment est-on donc arrivé à ce point ? Le Royaume-Uni a toujours été un peu distancé des projets européens. Participant réticent et peu enthousiaste, il n’a pas accepté d’abandonner sa livre sterling pour la monnaie commune, ni d’entrer dans l’espace Schengen, cette zone de 26 pays européens dans lequel tous peuvent circuler sans contrôle de passeport. Bien que l’euroscepticisme britannique fasse date depuis longtemps parmi la droite comme la gauche, il a progressivement gagné du terrain après les traités d’intégration plus ambitieux comme celui de Maastricht (1992) et de Lisbonne (2008).
Trois critiques de l’UE ont dominé le discours pro-Brexit. D’abord, il y avait le souci d’une perte de souveraineté nationale ainsi que de la multiplication du nombre de lois formées par les institutions européennes à Bruxelles plutôt que par la « mère des parlements » à Londres. Ensuite, le principe de libre circulation de personnes dans l’Union empêchait le gouvernement britannique de réduire le nombre d’immigrés qui arrivaient dans le pays, surtout de l’Europe de l’Est. Enfin, des politiciens se plaignaient des sommes considérables que le pays était obligé de contribuer aux projets européens. Le slogan principal de la campagne pro-Brexit faisait appel à ces sentiments : « Reprenons le contrôle ».
Même si tous ces facteurs touchent plusieurs pays de l’UE, le Royaume-Uni a toujours été un cas particulier. Éloigné géographiquement et politiquement du reste du continent, le pays a une très longue tradition de démocratie stable et indépendante dont il est fier. La peur parmi certains politiciens européens que le Brexit déclenche le départ d’autres pays de l’Union n’a pas du tout été réalisée. Il s’agit d’un événement exceptionnel plutôt qu’un présage de choses à venir.
Quarante-trois mois de disputes
Ce n’est que trois ans et demi après le référendum, suite à la démission de plus de cinquante ministres dont deux premiers ministres, que le pays quitte officiellement les institutions européennes. La date du départ a été deux fois remise, et une colère s’était accumulée parmi les partisans du Brexit. Jusqu’aux élections de décembre 2019, ce n’est qu’une minorité des députés qui avaient soutenu le Brexit, et les « Brexiteers » avaient de plus en plus peur que le résultat du référendum ne soit ignoré. Un mouvement bien financé, Le « Vote du Peuple », a contesté la légitimité continue d’un référendum qui avait plus de 3 ans. Il a réclamé un deuxième référendum national avant de quitter le bloc.
L’accord négocié par l’ancienne première ministre conservatrice Theresa May a été bloqué à quatre reprises par le parlement britannique. Son « deal » se confrontait à une opposition parmi ceux qui menaient campagne contre le Brexit et également ceux qui voulaient une relation plus distanciée avec l’Union que l’accord ne proposait. Ce n’est qu’après la victoire écrasante de Boris Johnson et du parti conservateur en décembre 2019 que ses opposants ont accepté le caractère inévitable du Brexit. Avec une majorité parlementaire pro-Brexit, ce départ de l’Union était irrésistible.
Le Brexit achevé, le pays entre actuellement en période de transition. Il sera au gouvernement de Johnson de négocier un nouvel accord de libre échange pour éviter des disruptions commerciales et des conséquences économiques dramatiques. Ce dernier a promis de ne pas prolonger la période de transition au-delà du décembre 2020. Il reste à voir si son gouvernement aura assez de temps pour négocier une nouvelle relation satisfaisante entre le Royaume-Uni et son partenaire de commerce le plus important.
Aidan Chivers